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La ligne de Montluçon à Eygurande-Merlines est une section de la ligne de Bourges (Cher) à Miécaze (Cantal), classée sous le numéro 695 000 du réseau ferré national. D’un point de vue administratif et historique, elle peut être considérée comme une ligne ferroviaire à proprement parler car elle a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique spécifique en 1880 ainsi que d’une concession spécifique auprès de la Compagnie de Paris à Orléans (PO) en 1883 (1).

La construction de la ligne de Montluçon à Eygurande-Merlines

Le plan Freycinet de 1878 lance un ambitieux programme de travaux publics qui comprend la construction de canaux, d’installations portuaires et de lignes de chemin de fer, parmi lesquelles la ligne de « Montluçon à Eygurande par ou près d'Évaux et Auzances » (2) classée par le numéro 104 (3). Le préfet de la Creuse, F. de Lestaubière, dans son rapport au Ministre sur les Chemins de Fer datant du 1er Mars 1878, avait en effet indiqué :

La première ligne qui s’impose au double titre de l’intérêt du département et de l’intérêt supérieur du réseau général français est celle qui, partant de Montluçon, traversant les cantons les plus riches de l’est de la Creuse, tels que Chambon, Evaux, Auzances, Crocq, viendrait s’embrancher à Eygurande sur la ligne en cours d’exécution de Clermont à Tulle. Proposée la première par le conseil général, elle n’est qu’un section de la grande voie Méridienne projetée autrefois, reliant deux réseaux importants et partageants la France comme en deux parties égales, dans toute son étendue, depuis le Nord jusqu’à Barcelone : en même temps qu’elle donnerait une large satisfaction aux besoins nombreux de l’agriculture dans ces contrées, elle deviendrait forcément la route rapide vers l’Espagne, les Pyrénées et la mer, et elle aurait encore son importance au point de vue stratégique.

Pour la Compagnie du PO, deux aspects motivent le choix de cet itinéraire avec en toile de fond, la concurrence avec la Compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée (PLM) sur les itinéraires entre Paris et la Méditerranée (4):

  • La possibilité de relier les différents bassins houillers du Massif Central dont l’exploitation est en pleine expansion à cette époque ;

  • Transporter directement le vin du bassin Languedocien vers la capitale (Caralp, 1951).

La ligne Montluçon-Eygurande dans le réseau ferré du Massif central

La Compagnie du PO avait déjà relié Bourges à Montluçon en 1861 et obtient par la même convention de 1883 la cession de la section d'Eygurande-Merlines à Vendes (5). La ligne de Montluçon à Eygurande permet de compléter cet itinéraire nord-sud à travers le Massif central.  La ligne est mise en service le 25 octobre 1885 entre Montluçon et Auzances et entre Auzances et Eygurande-Merlines le 13 juin 1887. D’une longueur de 93 kilomètres, la ligne traverse quatre départements : l’Allier, la Creuse (à deux reprises), le Puy-de-Dôme et la Corrèze. Elle ne comporte pas de tunnels mais plusieurs ouvrages d’art, notamment trois viaducs, dont celui de la Tardes et un pont sur le Cher près de Montluçon (6). Quatre années de travaux ont été nécessaires pour réaliser cette ligne.

Construction de la ligne Montluçon-Eygurande-Merlines entre Chard et Mérinchal Source : Peyraud, 2017

Déjà à l’époque, si beaucoup s’accordent sur le fait que cette ligne participe au désenclavement du territoire, pour d’autres, l’arrivée du chemin de fer n’a pas que des effets positifs :

«[…] à l'époque où les grandes villes poussaient, espacées à distance d'étape, le long des voies de communications, les auberges y regorgeaient de gens et de chevaux ; mais les habitants sont de ceux qui peuvent regretter le bon temps des diligences : la ligne d'Eygurande à Montluçon a chassé presque tout ce courant [les marchands allant du sud au nord] et, sans doute, une nouvelle ligne en construction de Saint-Eloy à Pauniat en retirera encore quelque chose » (De Launay, 1894, p.192).

Maurice-Lucien Vilain, dans son ouvrage « Vapeur en Montagne » (1982), dédie un chapitre à la ligne de Montluçon à Eygurande avec une description très précise du tracé, du profil et du territoire traversé. Il indique notamment que la ligne, compte tenu de son profil et du trafic qui l’emprunte, est considérée comme « une ligne difficile, notamment en raison de fortes rampes et rayons de courbure ».

Le profil de la ligne

Source : SNCF

Lors de la construction, un épisode reste dans les annales et marque un retard dans les travaux d’environ six mois : la tempête survenue dans la nuit du 26 au 27 Janvier 1884, qui provoque l’effondrement d’une partie du tablier du viaduc de la Tardes posée en porte à faux sur une pile (Talansier, 1884). Fait marquant, l’entreprise en charge des travaux est celle de Gustave Eiffel qui se propose de réparer le viaduc moyennant une somme supplémentaire. Le viaduc est aujourd’hui inscrit à l’Inventaire des monuments historiques, sans pour autant bénéficier d’un plan de valorisation (7).

Aspect du viaduc de la Tardes sur la rive droite de la Tardes, après la tempête du 26 janvier 1884 : une
longueur de tablier 132 m, d'un poids de 450 tonnes a été précipitée d'une soixantaine
de mètres de hauteur et s'est brisée sur les rochers, à 14 m environ de Taxe de la pile.

Source : Extrait de Génie civil, t.5, n° 15, 1884.

L'exploitation de la ligne et le matériel roulant

La ligne de Montluçon à Eygurande connaît un trafic important au début du 20ème siècle (Vilain, 1962, 1982). Plus précisément, dans les horaires de 1908, la compagnie du PO propose environ huit trains de Paris à destination du Mont-Dore, Royat et Aurillac en passant par Montluçon et Eygurande-Merlines qui s’arrêtent à Auzances (PO, horaires 1908). La ligne peut être parcourue à 70 km/h, hormis au niveau du viaduc de la Tardes, limité à 30km/h. Les trains express de l’époque parcouraient la section Montluçon-Eygurande en deux heures environ, avec un arrêt à Évaux, Auzances, Létrade et Giat (8). La ligne est parcourue à cette même vitesse jusqu’en 2004, par la suite des ralentissements à 40 km/h sont posés sur près de la moitié du parcours, entre Budelière et Auzances, compte tenu du mauvais état de la voie.

L’histoire de la traction sur cette ligne est étroitement liée à celle du dépôt de Montluçon, siège du deuxième arrondissement de la compagnie, qui inclue aussi les dépôts d’Eygurande et Ussel. Plusieurs séries d’engins SNCF pour la plupart hérités des anciennes compagnies parcourent la ligne, dont principalement :

- les locomotives « Mikado » 141 E et 141 F, compound à surchauffe venant de la région sud-est, pour express et messageries;

- les locomotives-tenders « Mikado » 141 TA et TB, à simple expansion et surchauffe, pour trains de voyageurs, express, messageries, marchandises;

- et les locomotives « Décapod » 150 A, compound à surchauffe, pour express, messageries, marchandises (Vilain, 1953).

Une locomotive 141 F avec un train de marchandises en 1968 en gare d’Auzances

Source : LVDR par gentille concession de D. Leroy

"Deux semaines plus tard, étant en repos, je vais « en voyageur », par l’express de nuit, à Ussel, retrouver des amis pour une partie de pêche. La prolongation anormale de l’arrêt en gare de Létrade, me réveille. Me rapprochant des locomotives – 141 E et TA en double traction – j’apprécie la situation : en raison du décalage du tourillon d’accouplement moteur gauche, la 141 E est inutilisable, d’importants démontages étant à effectuer. Les 380 t remorquées dépassent sensiblement la charge admise par les 4-141 TA dont les capacités de production de vapeur et de remorquage sont assez limitées. Le patinage est à craindre en raison de l’heure et une rampe continue de 5 km entre Létrade et Giat risque de mettre cette Mikado tender en difficulté... J’incite, toutefois, son mécanicien à repartir et l’accompagne sur la 4-141 TA 306. Cette fois encore, pari gagné mais c’est plus juste... En décembre 1957, le n° 627 du journal La Vie du Rail relate ces deux faits sous le titre "marche difficile"." (Témoignage de Georges Sauvestre dans Ferrovissime n°41, 10/2011).

A partir des années trente, les premiers autorails, type Renault VH, prennent le relais et remplacent peu à peu la totalité des relations entre Montluçon et Ussel. Avec la disparition de la traction vapeur, les machines de type A1AA1A 68000 et ensuite les séries BB67000 reprennent la traction des trains Corail entre Paris et Ussel, alors que les X2800 et plus rarement les X2400 assurent les relations quotidiennes entre Montluçon et Ussel.

Autorail X2800 quittant la gare d’Auzances

Source : Le Rail Ussellois

Le nombre de voyageurs par jour s’élève à 400 en moyenne en 1980 (BC, 1980) et le trafic fret, auparavant important, commence à disparaître. Il s’agit pour la plupart du trafic de bois à partir de Létrade, ainsi que des trains militaires à destination de la Courtine (Lanoue, Banaudo, 2003).

S’agissant du nombre de trains, les horaires du service d’été de 1980 montrent l’arrêt de 2 aller/retour par jour sur la relation Paris-Ussel (de jour et de nuit) et également 2 autorails par jour sur la relation Montluçon-Ussel, auquel s’ajoutait un autorail Montluçon-Auzances le mercredi et samedi pour les jours de marché (Chaix, 1980).

Un sursaut d’activité apparait à la fin du millénaire, avec les travaux de construction de l’autoroute entre Clermont et Ussel, car des nombreux trains fret empruntent la ligne pour acheminer les matériaux de construction en gare d’Eygurande (Veyre, 2000).

Un train fret pour la construction de l'autoroute A89 en gare d'Eygurande-Merlines

Source : Le Rail Ussellois

S’agissant des trains voyageurs, on ne compte plus qu’un seul train voyageur par jour desservant la gare d’Auzances dans les années 2000 et un Intercité qui dessert Auzances le vendredi soir et le dimanche soir pour un retour sur Paris. La relation Paris-Ussel, seule héritage des trains à destination du Mont-Dore et Aurillac, a résisté plusieurs années grâce aux pressions politiques des élus Corréziens, dont le Président Jacques Chirac, député à l’époque de la circonscription d’Ussel de 1967 à 1995 (9). Mais la baisse de la fréquentation entraine une réduction inexorable du service quotidien avec des trains "nuit" à hebdomadaire, seulement pendant le weekend, avant la fermeture de la ligne.

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Les quatre voitures Corail du train 4600 de Ussel à Paris Austerlitz au crochet de la BB 67319 franchit le triangle de Vierzon en 1991. 

Source : Fer image, Flickr

(1) La loi N° 14217 du 20 novembre 1883 approuve la convention passée, le 28 juin 1883, entre le ministre des Travaux publics, et la compagnie des chemins de fer de Paris à Orléans (Bulletin des lois de la République française, Paris, Imprimerie Nationale, série XII, vol. 28, no 834,‎ 1884, pp. 352-359).

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(2) La loi du 17 juillet 1879 classe 181 lignes de chemin de fer dans le réseau des chemins de fer d'intérêt général. Le choix du tracé le plus court l’emporta face à d’autres propositions, comme le montre Robert Rivet dans son ouvrage sur l’histoire des chemins de fer dans la Creuse. Le préfet de la Creuse avait en effet demandé à M. Fournot, député de la Creuse et conseiller général d’Evaux-les-Bains de présider la commission en charge d’examiner les doléances des communes et de superviser les enquêtes d’expropriation. Le député avait accepté bien volontiers cette tache en revendiquant la paternité de la ligne ! (Lettre au Préfet cité par Robert Rivet). 

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(3) Ce projet est mentionné dans les archives départementales de la Creuse (Côtes des archives 15S-1 à 15S-11 pour la construction de la ligne ainsi que certaines côtes en S0 (réglementation des passages à niveaux, contentieux et permis spéciaux)), de la Corrèze (Côtes des archives 5S-241 à 5S-245 pour la construction de la ligne), ainsi qu’aux archives de la SNCF au Mans (Côtes des archives 1522LM0299/002, qui est répertorié - fait étonnant - comme ayant appartenu à la compagnie du PLM, probablement en raison du transfert de la ligne à la région  sud-est en 1973).

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(4) Cette époque est caractérisée par une forte concurrence entre les compagnies ferroviaires, titulaires de concessions de l’État, qui aboutit en particulier à l’affaire du Grand Central. La compagnie du Grand-Central (1853-1857) avait été fondée par Charles de Morny. Ce dernier avait des grandes ambitions pour la desserte du Massif Central dans le cadre d’une une politique de relance de travaux publics soutenue par le Second Empire. Mais la compagnie fera faillite et son réseau sera partagé entre le PO et le PLM (Vergez-Larrouy, 1997).

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(5) La section d'Eygurande-Merlines à Vendes, est racheté par l'État selon les termes d'une convention signée le 16 avril 1877 entre le ministre des Travaux publics et la Compagnie du chemin de fer de Clermont à Tulle.

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(6) La  ligne franchit le Cher à deux reprises, une première fois près de Montluçon et une deuxième fois après la gare des Mars, dans la Creuse. A cet endroit, le fleuve Cher est un petit ruisseau et l’ouvrage de franchissement peu remarquable.

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(7) Michel Blondonnet, écrivain et historien local, a écrit en 2013 un roman intitulé « Le vent soufflait sur la rivière ». Il s’agit d’un roman historique ambiancé dans la Creuse pendant la construction de la ligne de Montluçon à Eygurande. L’épisode du viaduc de la Tardes est utilisé à la fin du roman comme contour à une histoire passionnante.

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(8)Pour faire face au nombre de trains, en particulier lors des pointes d’été à l’occasion des colonies de vacances, le PO introduit un système de signalisation expérimental, le block « à temps ».  Le premier signal est installé à Teillet Argenty dans les années 1920. Il permet d’expédier depuis Montluçon vers Evaux-les-Bains deux trains dans l’espace d’un quart d’heure. Au passage du premier convoi, le sémaphore se ferme et un dispositif à minuterie le ré-ouvrait 15 minutes plus tard. Les installations furent déposées en 1939. (Source : Trains du Centre France, de Henri Daudonnet et Jean-Paul Mathiaud).

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(9) Le "Jacques Chirac", c'est ce train Corail InterCités qui reliait encore voici peu, chaque fin de semaine, Paris à Ussel sans changement à Montluçon. Cette desserte très politique de la Corrèze, qui n'a pas survécu à la fonction présidentielle du châtelain de Bity, était un héritage des trains de nuit du PO, qui circulaient jadis avec panache vers Aurillac, Béziers ou le Mont Dore (Extrait du Massif Central Ferroviaire).

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