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En 1950, la mise en eau du barrage de Bort-les-Orgues en Corrèze entraîne la fermeture de la ligne entre Eygurande-Merlines et Bort, noyée sur 4 km. Cette fermeture marque le début progressif du déclin de la ligne de Montluçon à Eygurande, privée de toute desserte vers le sud du Massif Central. Pour assurer la continuité de la desserte de Bort-les-Orgues, un projet d’une ligne Ussel-Bort, déjà concédé à titre provisoire à la compagnie d’Orléans, est même réétudié par la SNCF et approuvé à la charge d’EDF. Les travaux débutent avec le creusement du tunnel de la Fourcherie, d’une longueur exceptionnelle pour l’époque de 6 628 mètres mais seront finalement vite abandonnés en raison du manque de pertinence du tracé (Inventaire ferroviaire, IRSP n°19252.1). Les trains directs Paris-Aurillac seront dès lors détournés via Brive-Limoges et la desserte Paris-Le Mont-Dore par Montluçon-Eygurande maintenue jusqu’à la fin des années soixante-dix (Bazot, 2010).

En 1980, d’importants travaux sont entrepris le long de la ligne et en gare d’Auzances pour remplacer la signalisation mécanique et le rail double-champignon (DC) sur les voies principales (15). La gare d’Auzances est transformée en gare de type voie de gauche VG1001 (16) et l’ensemble de la ligne doté de Cantonnement Assisté Par Informatique (CAPI)en 1987. Seule la gare d’Auzances est ouverte à la sécurité de façon permanente pour assurer le croisement des deux circulations journalières entre Montluçon et Ussel, mais les gares d’Évaux et Létrade peuvent l’être aussi temporairement.

A partir de 2004 émergent les premières craintes sur l’avenir de cette ligne dont l’état se dégrade. Un article extrait d’une revue spécialisée de chemin de fer évoque le « sursis pour la ligne Montluçon-Eygurande-Merlines après avoir échappé in-extremis à une fermeture qui avait été « discrètement » programmée pour ce mois de décembre […] » (Objectif Rail, 2004).

Croisement entre le TER 73007 Montluçon-Ussel (X2844) et le train GL3924 Ussel-Paris (BB67562) en gare d'Auzances (2005)

Source : Klaus Philippi

http://www.vt98.de/frankreich2005-1

Pendant cette période, plusieurs manifestations se déroulent également à l’initiative des associations et des élus. L’Association de défense et de développement des services publics pour les Combrailles organise par exemple les « trains de la colère » en juillet et octobre 2006. Bruno Noble, le président de l’association témoigne :

«Nous soutenons la proposition du conseil régional Limousin, de demander le financement par l'État de ces trains de bout en bout de Paris à Ussel et inversement, ce qui serait normal puisque l'État les finance déjà de Paris à Montluçon. […] Cela permettrait à la région Limousin de redéployer un train supplémentaire faisant l'aller retour entre Ussel et Montluçon. L'État doit assumer ses responsabilités en faisant effectuer les travaux nécessaires à la suppression des ralentissements. Cela représenterait un coût chiffré par Réseau Ferré de France à 11,7 millions d'euros, soit environ 2,5 km d'autoroutes. Actuellement le train roule à une moyenne de 40 km/h, il faut 46mn pour aller d'Évaux à Montluçon, beaucoup moins vite qu'au temps des trains à vapeur !» (http://addspcombrailles.typepad.com/ ).

Cette incertitude concernant la fermeture de la ligne va perdurer jusqu’au dernier moment voire même paradoxalement au-delà de l’arrêt de la circulation qui constitue un signal fort du gestionnaire du réseau sur sa volonté de ne plus faire circuler de trains sur cette ligne. En effet, la période entre décembre 2007 et février 2009 est marquée par la temporisation de l’État dans ses réponses aux élus locaux, la position ambiguë de la SNCF, la colère et l’espoir des usagers du train et des acteurs institutionnels locaux et régionaux. Cette fermeture s’inscrit en outre dans un contexte de régionalisation des TER qui complexifie davantage la situation car la ligne est rattachée à la direction régionale SNCF de Clermont-Ferrand alors que l’autorité organisatrice des transports (AOT) est la Région Limousin.

En décembre 2007, Michel Moreigne, Sénateur de la Creuse interpelle le secrétaire d’État chargé des transports par le biais d’une question écrite publiée dans le JO Sénat du 13/12/2007 à propos du :

« maintien et la modernisation de la ligne ferroviaire Montluçon-Ussel via Évaux-les-Bains et Auzances (Creuse). Cette liaison permet notamment d'assurer une correspondance avec Paris. Or, l'absence de travaux d'infrastructure ralentit considérablement la vitesse de circulation des trains et provoque une baisse corrélative de sa fréquentation. Cette ligne a pourtant une vocation évidente de désenclavement du Massif central, d'aménagement du territoire. Il demande s'il lui est possible de préciser les mesures ou solutions techniques à l'étude afin qu'une programmation de la réfection de la voie précitée soit réalisée ».

A cette question l’État répond le 19 juin 2008 - soit six mois plus tard - après la fermeture de la ligne évoquant un service de remplacement des trains par autocar sans pour autant mentionner une fermeture :

« La volonté d'améliorer rapidement l'état du réseau ferroviaire a conduit l'État, la région et Réseau ferré de France (RFF) à conclure le 3 avril 2008 un plan de modernisation du rail en Limousin dénommé « Plan Rail Limousin ». […] ce plan permettra d'accélérer en priorité la remise à niveau des lignes les plus circulées : Limoges-Périgueux, Limoges-Ussel, Brive-Tulle et Guéret-Montluçon. Dans ce contexte, l'état de la ligne de chemin de fer entre Montluçon et Eygurande-Merlines a conduit à suspendre le 1er mars 2008 l'exploitation du seul service qui l'empruntait encore, le TER quotidien entre Montluçon et Ussel, les autres liaisons sur tout ou partie de cet itinéraire étant assurées depuis plusieurs années par autocar. Un service de substitution par autocar a été mis en place. (Réponse du Secrétariat d’État aux transports, publiée dans le JO Sénat du 19/06/2008).

C’est entre la question posée par le sénateur de la Creuse sur l’avenir de la ligne en décembre 2007 et la réponse de l’État le 19 juin 2008, que le 29 Février 2008 circule le dernier train TER Montluçon-Ussel avec une banderole sur laquelle est inscrit : « le dernier train que fait l’État ».

Un mois avant sa fermeture, un post daté du 24 janvier est publié sur le forum Trains en voyage et témoigne d’une «nouvelle hémorragie pour les lignes auvergnates» (trains-en-voyage.com). Cette suspension se répercute en effet sur la circulation des trains des autres régions. Ainsi, le Conseil régional Auvergne dans un rapport complémentaire du Plan Rail Auvergne, rappelle que l’Auvergne « […] est particulièrement touchée par les dégradations des performances de l’infrastructure ferroviaire : les circulations ont été suspendues sur […] Eygurande/Montluçon, relation qui relève de la compétence du Conseil régional du Limousin mais qui intéresse l’Auvergne » (Rapport N°115, 2008, p.5).

Sans succès, des mobilisations s’organisent le long de la ligne et en gare d’Auzances pour manifester contre cette fermeture. L'image ci-dessous est l’illustration d’un post intitulé : « Montluçon - Eygurande : des Wagons-Lits au néant, le supplice de la mort lente » est commentée de la façon suivante : « Trop tard, Messieurs! Il ne fallait pas préférer au chemin de la gare celui de la concession auto ».

Manifestation en gare d’Auzances lors de la fermeture de la ligne le 29 février 2008. L'autorail X2249 effectue le dernier TER N°73009 de Montluçon à Ussel

Source : Fabrice Lanoue, Flickr

2008-02-29 Auzances  X 2249 N° 73009 024b red 1024 copie.jpg

Cet article interroge par ailleurs sur les responsables de cette fermeture :

« La faute à qui? Pêle-mêle, à la SNCF, à RFF, à l'État, aux collectivités territoriales, aux combraillards inaudibles, à nous tous. La faute à pas de sous. A pas de sous pour çà. De toute façon, cette voie bucolique n'intéressait plus que les rêveurs et les poètes. Et puis, quelle importance. Sur notre planète-poubelle, soumise au réchauffement climatique et en mal de matières premières si vite gaspillées, la mort de cette ligne, dont la naissance fut le fruit d'années de lumière, nous jette dans des siècles de ténèbres » (Massif Central ferroviaire, poste n°319, 29/02/2008).

Pour autant, les élus locaux ne se découragent pas. Le 6 février 2009, à l'initiative du Maire de Mérinchal et de la présidente de la Communauté de Communes Haut Pays Marchois est organisée une réunion au sujet de la ligne à laquelle est présente RFF, le sous-préfet d'Aubusson, le vice-président de la région Limousin, le conseil général de la Creuse, le maire des Mars, SNCF TER, le président de l’Association de Défense et du Développement des Services Publics pour la Combrailles et le vice-président du COmité de DÉfense et de Développement du RAIL de la région montluçonnaise. Cette réunion débute par un état des lieux de la ligne qui rappelle « (I) les tentatives de réactivation par le fret bois le 11 juin 2002 (train de planches) pour lesquelles la gare de Létrade aurait permis de faire circuler un train de bois par mois. Les entreprises de bois renoncent à l'exploitation à Létrade à cause de l'enclavement. (II) les thermes d’Évaux - pôle d'excellence rurale - sont privés d'une partie de sa clientèle à cause de la suspension de la desserte ferroviaire ».

En réponse aux questions posées par les élus et le milieu associatif, RFF précise « qu’il n’y a pas de fermeture envisagée pour l’instant. Les crédits disponibles ne permettent pas le renouvellement des voies des lignes à très faible trafic. […] L'entretien de l'infrastructure est réalisé si la sécurité des riverains en engagée […] ». RFF s’engage à étudier notamment « plusieurs scénarios échelonnés de réactivation ». La réponse de l’État temporise aussi la situation de la ligne. Le sous-préfet témoigne ainsi que « la rentabilité n'est pas actuelle, donc l'exploitation pas possible, et quand la rentabilité reviendra dans quelques années, on pourra commencer à faire quelque chose ». Il évoque par ailleurs l’idée de « goudronner l'infrastructure pour la préserver ».

En 2012, la gare d’Auzances, restée jusque-là ouverte pour la vente des titres de transport, ferme ses portes malgré la mobilisation des élus et des citoyens. La SNCF évoque le trop faible nombre de billets vendus au guichet et fait concorder la fermeture du guichet avec le départ en retraite du chef de gare (Chevreau, 2012).

La gare abandonnée d’Auzances en 2016

Source : Auteurs

Depuis la fermeture de la ligne et successivement des gares qui l’a compose, les appels des milieux associatif, scientifique et politique se sont multipliés pour sauver et faire connaître l’immense patrimoine que représente la ligne Montluçon-Eygurande. Sans prétendre à l’exhaustivité des initiatives conduites, on peut toutefois en détailler quelques-unes pour leur spécificité et la possibilité de les reproduire. Deux types d’initiatives se dégagent : individuelles/associatives et institutionnelles.

Sur le plan individuel/associatif, deux formes d’actions sont poursuivies. La première concerne l’état des lieux de la voie et de la gare d’Auzances. En 2011, Christian Jobst, alias Railwalker,  cheminot allemand, parcourt à pied l’ensemble de la ligne en réalisant un reportage photographique de son patrimoine en vue de disparition. Il a ainsi photographié l’ensemble de la ligne (gares, maisons de garde barrière) et ses ouvrages (viaducs) tous les 100 mètres environ. Ce travail colossal donne un premier état des lieux de la ligne encore jamais réalisé. En 2015, Pascal Desmichel et Fréderic Faucon, deux enseignants chercheurs de l’université de Clermont-Ferrand, publient un ouvrage : « Patrimoine extraordinaire du chemin de fer en Auvergne et Limousin » et consacrent un chapitre à la gare d’Auzances et au viaduc de la Tardes. Ce travail de recherche dresse plus généralement un  inventaire patrimonial du réseau ferroviaire limousin. La troisième initiative est davantage opérationnelle. En effet, l’Amicale des Anciens et Amis de la Traction Vapeur de Montluçon envisage la remise en état d’une portion de la ligne entre Montluçon et Évaux pour effectuer des circulations touristiques. Si ce projet ne concerne pas directement la gare d’Auzances, située plus en aval, il pourrait réactiver l’intérêt des élus locaux. 

Christian alias Railwalker parcourant la ligne Montluçon-Eygurande Merlines en 2011

Source : http://railwalking.blogspot.com/?view=classic (avec son aimable autorisation)

S’agissant de la sphère institutionnelle, l’État participe à plusieurs réflexions dont une étude de la DREAL publiée en 2014 sur la valorisation des petites lignes ferroviaires non circulées du Limousin. Cette étude analyse la situation de la ligne de Montluçon à Eygurande et envisage des solutions de type voie verte ou vélo rail. Elle identifie en particulier les vingt-deux communes traversées et leur centre d’intérêt.

A titre d’exemple, pour Auzances, l’église Saint-Jacques-le-Majeur (XIIIe - XVe siècle), la Chapelle Sainte-Marguerite du XVIIe siècle ou encore la Maison des archives du XIVe siècle sont présentés comme lieu d’intérêt et touristique. Le rapport identifie aussi les structures commerciales qui permettraient d’accueillir les touristes (restaurants, hébergements).

En outre, l’État par le biais de travaux cette fois-ci réalisés par la DREAL Auvergne en 2012 a aussi proposé un guide national de recommandations à l'usage des porteurs de projet de valorisation d'une infrastructure ferroviaire secondaire (MEDDE, 2012). Ce guide pourrait être par exemple une piste pour les acteurs locaux des territoires traversés par la ligne. Ces deux approches pourraient constituer les outils nécessaires à la préservation et à la valorisation de la ligne Montluçon-Eygurande Merlines.

Page de couverture du rapport de la DREAL de 2014 illustrant la gare d'Auzances et sa friche ferroviaire

Source : DREAL, 2014

S'agissant des acteurs locaux, il y a aussi le désir de valoriser cette ligne. Certains souhaitent réaliser une voie verte en particulier entre Montluçon et Evaux-les-bains afin de « Développer un projet touristique attractif qui valoriserait à la fois notre bassin montluçonnais et le département de la Creuse » (3/07/2018, La Montagne). Ces élus excluent toutefois l'idée du train touristique qui pourtant dans une vision à long terme constituerait un vrai atout en valorisant et préservant le patrimoine ferroviaire de cette ligne.

 

Enfin, l’entretien ferroviaire reste coûteux pour la SNCF qui en 2015, entreprend une campagne d’éco-pâturage - qu’elle qualifie de "100% écologique" - pour entretenir la végétation qui est en train de submerger la ligne.

Présentation de la campagne d’éco-pâturage organisée par SNCF Réseau à la gare d’Auzances en 2015

Source : SNCF Réseau

Cette campagne s’est élargie à d’autres lignes non circulées comme la ligne Orléans-Gien. En pratique, des moutons, des ânes et des poneys viennent défricher la ligne. Sophie Téton, Responsable environnement développement durable SNCF, justifie l’importance pour la SNCF de ces initiatives pour lesquelles SNCF Réseau « cherche à mieux intégrer ses lignes non circulées, qu’il est tenu d’entretenir, dans leur environnement naturel. Valoriser ces lignes non exploitées est un véritable enjeu […] Cela fait partie de notre patrimoine ferroviaire, mais aussi des environnements, des localités, des paysages. Les opérations éco-responsables menées par SNCF Réseau, que ce soit l’éco-pâturage ou la mise en place de ruches, permettent de renforcer la biodiversité et de faire travailler des professionnels locaux comme des apiculteurs ou des bergers ».  Toutefois, cette action de la SNCF ne semble pas avoir été renouvelée sur la ligne Montluçon-Eygurande Merlines (SNCF Réseau).

Le 4 Novembre 2021, SNCF Réseau a prononcé la fermeture administrative (17) de la ligne suite à la demande du Pôle d’Equilibre Territorial et Rural du Pays de la Vallée de Montluçon et du Cher, Montluçon Communauté et la Communauté de Communes Creuse Confluence de vouloir disposer d’une section de ligne, non circulée et neutralisée, pour un projet de reconversion en voie verte, via une Convention de Transfert de Gestion entre SNCF-Réseau et les Collectivités Territoriales (18).
Après plus d’un siècle, cette ligne qui fût jadis la radiale de Paris à Aurillac de la compagnie du PO, n’aura donc trouvé un avenir ferroviaire au service d’un territoire rurale dans une logique de développement territorial. 

(15) Un remplacement des rails DC par du Vignole avait déjà été effectué le long de la ligne dans les années soixante (Daudonnet, Mathiaud, 2004).

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(16) Il s’agit là d’un référentiel de sécurité et d’exploitation de la SNCF pour uniformiser les typologies d’installations héritées, pour la plupart, des anciens réseaux.

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(17) La fermeture administrative d`une section du Réseau ferré national est prononcée par le Conseil d'administration de SNCF Réseau, qui peut décider de son déclassement après l'autorisation préalable de l'État, et avis de la région intéressée (Code des Transports, article L2111-20 à L2111-22).

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(18) Fermeture de la section de ligne du réseau ferré national comprise entre les pk 324.403 et 356.200 de la ligne n° 695000 de Bourges à Miécaze. Publié le 15/11/2021 dans le bulletin officiel de SNCF Réseau.

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